Annales de démographie historique, 2001 n°2

Enfances. Bilan d’une décennie de recherche

Sommaire

DIX DE TRAVAUX SUR L’ENFANCE :

Véronique DASEN, Antiquité gréco-romaine 

Didier LETT, Histoire médiévale occidentale 

Marie-France MOREL, Époque moderne 

Catherine ROLLET, Période contemporaine 

Bibliographie récente sur l’histoire de l’enfance

Varia

Jean-Noël CORVISIER, L'état présent de la démographie historique antique : tentative de bilan 

Lennart ANDERSSON PALM, Le changement caché du système démographique suédois à « l'Époque de la Grandeur ». Des mariages adolescents aux mariages tardifs 

Éric BRIAN, Nouvel essai pour connaître la population du royaume. Histoire des sciences, calcul des probabilités et population de la France vers 1780 

Véronique Dasen, Didier Lett, Marie-France Morel et Catherine Rollet

Dix ans de travaux sur l'enfance

Résumé

Dans les années 1990, les travaux sur l'histoire de l'enfance se sont multipliés et diversifiés, approfondissant les pistes de travail ouvertes dans les deux décennies précédentes. Cet ensemble de quatre articles, qui reprend le découpage traditionnel par période (Antiquité, Moyen âge, époque moderne, époque contemporaine) entend tracer un bilan raisonné de l'ensemble de la production concernée et dégager quelques lignes de force. Si les études se fondant sur des approches quantitatives ou usant des sources juridiques continuent d'être porteuses, on observe un intérêt grandissant pour des sources nouvelles (iconographie, sources archéologiques, par exemple), qui permettent mieux de saisir l'environnement quotidien, à la fois matériel et affectif, des enfants. En outre, ceux-ci sont de plus en plus abordés dans leur diversité, ce qui s'est traduit par le développement d'études sur l'enfance des filles ou encore sur les enfants plus âgés.

Summary

In the 1990s, the number of studies on the history of childhood multiplied and diversified, resulting in more profound analyses of hypotheses presented over the previous two decades. This particular group of four articles, reiterating traditional divisions by period (Antiquity, Middle Ages, Early Modern, and the Modern period) evaluates this intellectual production and highlights its strong points. Though studies based on quantitative approaches or juridical sources continue to carry weight, one may observe a growing interest for new sources (iconography and archeological sources, for example) that provide a more precise vision of both material and emotional aspects of children's daily lives. In addition, the diverse nature of children is emphasized, resulting in the development of studies on the specificity of girlhood, or the childhood of older children.

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Jean-Noël Corvisier

L'état présent de la démographie historique antique : tentative de bilan

Résumé

La démographie historique antique a connu depuis les années 1980 un développement remarquable qui lui a permis d'obtenir une visibilité et une reconnaissance scientifiques désormais incontestées. Cet article entend opérer un bilan raisonné des avancées cette discipline depuis vingt ans pour ce qui concerne les mondes grec et romain. Après avoir montré l'apport des nouvelles de sources disponibles (comme les surveys), il fait le point sur un certain nombre de problèmes pendants qui animent les débats intellectuels touchant à la population et aux systèmes familiaux de l'Antiquité, notamment le niveau des populations athénienne, spartiate et romaine, la réalité d'une dépopulation dans l'Antiquité, la surexposition des filles dans le monde grec, le poids de la population servile et ses modalités de renouvellement.

Summary

Since the 1980s, demographic history of the Antiquity has undergone remarkable developments, resulting in higher visibility and undisputed scientific recognition. This article evaluates progress in this field over the past twenty years relative to Greek and Roman civilizations. After highlighting the importance of new sources (such as surveys), the author examines certain problems relative to population and family systems in the Antiquity that still divide the intellectual community, notably the level of Athenian, Spartan, and Roman populations, the reality of depopulation during the Antiquity, overexposure of girls in the Greek world, and finally the role of the slave population and modalities of its regeneration.

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Lennart Andersson Palm

Le changement caché du système démographique suédois à « l'Époque de la Grandeur ». Des mariages adolescents aux mariages tardifs

Résumé

Les calculs fondés sur le recensement des feux entre 1571 et 1699 pour la Suède indiquent une croissance annuelle de 0,6 % en moyenne. Une croissance aussi forte contredit nettement les estimations habituellement acceptées par les historiens. Si on suppose que la période a connu une forte mortalité, il faut par conséquent imaginer une fécondité très élevée. Manquant encore une fois d´informations démographiques supplémentaires sur la fécondité de ces années, on peut essayer de trouver des indicateurs indirects, en particulier, les listes de contrôle fiscal, documents rarement détaillés autour de 1620. Ces listes répartissent la population par âge (au-dessus ou en dessous de 15 ans), par sexe et par état civil. Si on applique, après quelques modifications, la méthode de John Hajnal, on trouve que l´âge des femmes au premier mariage était au maximum de 24 ans, c'est à dire sans doute en réalité d´environ 20 ans. Les listes indiquent aussi que la proportion des femmes adultes non mariées était seulement d´à peu près 30 %. Ces deux résultats laissent penser que la Suède en 1620 est conforme au système démographique qu´Hajnal a qualifié d'oriental ou est-européen. Un âge peu élevé au premier mariage peut aussi être mis en évidence par des sources très crédibles datant d´après 1670, notamment les registres paroissiaux de Orsa. Dans ce cas, mais aussi dans d´autres régions, le système oriental semble avoir évolué vers un système de type occidental autour de 1700. Beaucoup d´informations, dans la seconde moitié du xviiie siècle, indiquent un âge au premier mariage d´environ 27 ans, âge clairement « occidental ». Un système oriental en Suède avant 1700 a rendu possible la forte croissance observée. Mais ces résultats demandent à être confirmés par d'autres. Il conviendra aussi de s'intéresser aux dimensions sociales et économiques d'une telle évolution.

Summary

Estimates from household lists between 1571 and 1699 indicate an average annual growth-rate of 0,6% for Sweden. Such a high rate of growth strongly contradicts the dominant opinion among earlier scholars. Considering that the period is known for its high mortality, it implies very high fertility. As there is no precise information on the fertility for that period one must try to find less direct indicators. Here fiscal audit lists, unusually rich in detail, from the 1620s have been used. The lists divide the population by age (above or under the age of 15), by sex and by civil status. If one, after some adjustments, use the method by John Hajnal, one finds that the age of women at first marriage must have been maximum 24 years, that is in reality around 20. The lists also indicate that the proportion of adult women who were not married was as low as around 30%. These two results give the impression that Sweden in the 1620s had a demographic system of the type Hajnal called “East-European” or “Eastern”. A low age at marriage was also corroborated by very credible sources after 1670, the church records of Orsa parish. There, but also elsewhere in Sweden, the Eastern system seems to have changed in direction towards a Western type system around 1700. There is much information from the second half of the xviiith century that shows that the age at first marriage then was around 27 years, a decidedly “Western”age. An Eastern type system in Sweden before 1700 supports the idea of strong growth. But a final confirmation demands further research, also on the social and economic factors behind the transformation.

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Éric Brian

Nouvel essai pour connaître la population du royaume. Histoire des sciences, calcul des probabilités et population de la France vers 1780

Résumé

L'article étudie l'état de la population française à la fin du XVIIIe siècle en partant de nouvelles archives : les documents intermédiaires des compilations établies par La Michodière et ses collaborateurs au milieu des années 1780 à partir des registres de paroisses. On dispose des chiffres de mouvements de population pour 33 030 paroisses. Par l'histoire des sciences, on peut établir que ces chiffres étaient très attentivement élaborés et considérés à l'époque comme très probables. Dès lors, comprendre comment les spécialistes anciens pouvaient attribuer un sens particulier aux chiffres qu'ils avaient sous la main permet de réutiliser les mêmes sources autrement, en suivant de nouveaux principes : (a) identifier la cohérence du calcul ancien des phénomènes de population, (b) mettre ces difficultés à l'épreuve de procédures actuelles, ici des techniques d'analyse multivariées, (c) évaluer ce que le déplacement apporte aux questions propres à la démographie historique contemporaine. Cet itinéraire conduit non seulement à réviser certaines conclusions admises sur l'état de la population à la fin du XVIIIe siècle, mais encore à fournir des résultats jusqu'ici inaccessibles.

Summary

This article presents a new perspective of the French population at the end of the xviiith century, one based on unexplored archives consisting of intermediary forms of compilations established by La Michodière and his collaborators in the mid-1780s taken from parish registers. Population vital events figures are made available for 33,030 parishes. Through the prism of the history of science, there is little doubt that these figures were scrupulously recorded and thus highly probable. Hence, understanding how previous specialists could attribute a particular meaning to figures they possessed allows present day observers to rely on the same sources, but in a different manner and focusing on new principles : (a) identifying the consistency of previous means of calculating population phenomena, (b) confronting these difficulties with present-day procedures, i.e. multivariate analysis techniques, (c) evaluating the role played by this reconsideration in questions related to contemporary demographic history. This approach drives not only towards the revision of certain previously accepted conclusions relative to the population at the end of the xviiith century, but also provides new results that thusfar had been inaccessible.

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